PICOTÉE LA ROUGEOLE- Extrait de Petit pot de biscuits 2

Juin 1961, il doit faire 30 degrés dehors et il fait noir dans ma chambre. Je suis seule, ma petite soeur ne partage pas ma chambre. Je ne vais pas à l'école, car... j'ai attrapé la rougeole. Je suis une pestiférée. Ma mère craint que je devienne sourde, aveugle. Je ne sais plus quoi.

Bon, au début, je trouve cela rigolo d'être alitée, d'avoir ma mère aux petits soins avec moi. Je m'évade dans mes livres de Tintin et de Jo et Zette sauf que j'en ai vite fait le tour. Il me reste les Martine. Je dors beaucoup aussi, car je suis fiévreuse avec quelques éruptions cutanées sur le corps. Je me régale d'un bol de Cream Soda avec de la crème glacée. À part ma mère, personne n'entre dans la chambre. Une chambre d'isolement à l'ancienne.
 
Je me morfonds, car c'est bientôt la fin de l'année et... la remise des prix. Je ne veux pour rien au monde manquer cet événement. J'ai tellement aimé mon professeur que cela me rend triste à la pensée que je ne lui dirai pas au revoir. Heureusement, je me rétablis assez rapidement. Je pourrai assister avec ma classe à la cérémonie de fin d'année.
 
Ma mère me réserve une autre surprise. À cette époque où les poux étaient plus affectueux, ma mère craignait qu'en raison de ma récente fièvre ils ne prennent logis dans ma magnifique chevelure bouclée et volumineuse. Aussi, avant la cérémonie des prix, j'ai eu droit à mon premier rendez-vous chez la coiffeuse. J'ignorais qu'à ma sortie, je ne serais plus la même. Je n'ai pas eu droit au chapitre. Comme ces femmes juives que l'on voit dans les films de guerre, je me suis retrouvée délestée de ma féminité le temps que la coiffeuse crie ciseau.

Non, cette fin d'année n'était pas celle attendue. De fillette, je suis devenue le petit garçon manqué. J'avais perdu mon âme et il m'a fallu plusieurs années pour la retrouver. Je crois que ma mère en avait assez de démêler chaque matin cette tête rebelle. Pourtant, pour moi, ces rendez-vous matinaux étaient bénis. C'était un tête-à-tête exclusif avec ma mère. Je sentais son odeur, la chaleur de son corps et nous écoutions ensemble Zezette.

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